PRISON
EXTÉRIEURE
OU INTÉRIEURE ?
Un jour un détenu a demandé à me parler, il souhaitait me faire part de sa gratitude pour le travail : il se sentait plus libre, il avait l'impression d'avoir plus d'espace, malgré le fait de devoir vivre dans une cellule de 8 mètres carrés 20 heures par jour !
Il y a deux ans, lors d'une intervention en milieu carcéral, j'accompagnais deux détenus souffrant de crises d'angoisse. Ils étaient également suivis par un psychiatre. Ils consommaient tous les deux une bonne dose journalière de Valium et souhaitaient trouver une solution plus naturelle à leur difficulté.

L'objectif principal consistait à améliorer leur capacité à se relaxer. A priori, cela peut sembler simple. On branche le lecteur et on démarre une relaxation guidée, et le travail se fait, il suffit de suivre… Pour de nombreux détenus, le simple fait de s'asseoir tranquillement en fermant les yeux, sans mouvement, les met en contact avec une agitation intérieure particulièrement inconfortable. Souvenirs douloureux, sensations désagréables, liens coupés ou difficiles avec la famille, image de l'enfant ou du conjoint absent qu'on voudrait serrer dans ses bras, ce que j'aurais dû faire ou au contraire ce que je n'aurais pas dû faire, comment vais-je m'en sortir… tout ceci tourne dans la tête et le corps, sans arrêt, sans répit. Leur agitation extérieure n'est que le pâle reflet de leur agitation intérieure et offre une échappatoire, un apaisement momentané. De nombreux détenus ont été des enfants abîmés, blessés par des parents eux-mêmes tordus par la vie ou simplement trop absents.

En fait, on n'enseigne pas la méditation. Lorsqu'on la guide, on y transmet ce qu'on est.
Après la phase d'apprivoisement, c'est-à-dire la période qui permet de créer un lien de confiance, ces détenus ont accepté de jouer le jeu. Nous avons commencé par des relaxations courtes, quelques minutes. Au début, le simple fait de les inviter à se concentrer sur le visage les faisait rire. Le rire est un mécanisme de défense courant. Peu à peu, nous avons pu avancer. J'ai introduit dans le fil des relaxations l'attention à l'espace. Par exemple, une fois que le visage est détendu, j'invite la personne à ressentir ou imaginer l'espace entre les oreilles. Cette approche par la concentration sur l'espace s'appuie, entre autres, sur les travaux de Les Fehmi et Jim Robbins. De façon étrange, le fait de se concentrer sur l'espace a un effet apaisant et permet de descendre rapidement la fréquence des ondes cérébrales vers des niveaux plus régénérateurs. Nous ne savons pas ce qu'est l'espace et, dans ce travail, je ne le définis pas. Néanmoins, nous avons tous peu ou prou, cette faculté de nous concentrer sur l'espace
Après sept ou huit séances, nous avons ajouté la pratique de quelques minutes de la méditation de type zen. Le protocole est relativement simple :

• pratique d'une relaxation guidée,
• introduction de la concentration sur l'espace dans le corps,
• concentration sur la respiration et la posture.

Il est essentiel que ce travail reste très simple et donc accessible à tout moment pour le client, sans avoir besoin d'un quelconque artifice, ni même d'un thérapeute. C'est d'ailleurs ce qui fait l'une des forces des techniques de méditation : elles rendent son autonomie au client.

Avec ces détenus, nous avons également, de façon ponctuelle, pratiqué une méditation énergétique qui consiste à prononcer des phrases sur certains points d'acupuncture. Il s'est avéré que cette méditation apaisait particulièrement, même lorsqu'ils n'y croyaient pas vraiment.

Finalement, dans les deux cas, les résultats étaient très similaires. Après six semaines de travail et de pratique régulière (au moins une fois par jour), le nombre de crises d'angoisse avait chuté. Ils ont pu, peu à peu, se séparer du Valium. Plusieurs mois plus tard, ils étaient toujours autonomes.

Il m'est arrivé de croiser d'autres personnes qui ont tenté d'enseigner la méditation en prison. Le milieu carcéral ne fait aucun cadeau aux apprentis. Si vous êtes encore demandeur d'attention ou si votre travail de méditation n'a pas une assise suffisante (de plusieurs années), vous risquez rapidement d'être exposé, au mieux aux questions dérangeantes et au pire au rejet des détenus. En fait, on n'enseigne pas la méditation. Lorsqu'on la guide, on y transmet ce qu'on est.

Il était l'artisan de sa propre liberté et probablement, sans s'en rendre compte encore, il était sur le chemin d'une liberté que beaucoup d'entre nous, sans être en prison, ne connaîtrons peut-être jamais
Un jour un détenu a demandé à me parler, il souhaitait me faire part de sa gratitude pour le travail : il se sentait plus libre, il avait l'impression d'avoir plus d'espace, malgré le fait de devoir vivre dans une cellule de 8 mètres carrés 20 heures par jour ! C'est toujours un cadeau de recevoir un tel témoignage. Je lui ai répondu merci et j'ai ajouté que la gratitude qu'il éprouvait, s'adressait aussi à tous ceux qui m'ont aidé à pratiquer et approfondir ma propre pratique, ainsi qu'à lui-même. Il était l'artisan de sa propre liberté et probablement, sans s'en rendre compte encore, il était sur le chemin d'une liberté que beaucoup d'entre nous, sans être en prison, ne connaîtrons peut-être jamais.

Frédéric Theismann
(Trans)formateur et coach